Les oeufs
Le week-end dernier, nous étions dans la région du Fuji, et plus précisément près de Hakone. Hakone est présenté, dans les guides touristiques, comme le "lieu de villégiature favori des Tokyoïtes", la "destination de week-end privilégiée des habitants de Tokyo", etc. C'est exact: Hakone n'est qu'à une heure et demie de train de la capitale, on y trouve la montagne, la forêt et des sources chaudes, c'est-à-dire tous les ingrédients nécessaires pour attirer les touristes japonais. Revers de la médaille: les étroites routes de montagne sont terriblement encombrées et les paysages parfois gâchés par quelques disgracieuses constructions en béton...
Comme c'était notre deuxième visite, nous avons opté pour des déplacements en funiculaire et télécabine, plus onéreux certes, mais qui permettent de gagner un temps précieux et sont finalement moins nocifs pour l'environnement. L'une des attractions de la région de Hakone est la vallée volcanique d'Owakudani, que nous avons rejointe en télécabine. Après avoir survolé pendant quelques instants un océan de feuillage aux couleurs automnales,
la télécabine franchit un dernier pylône pour atteindre un plateau et, à ce moment-là, un cri jaillit à l'unisson de toutes les poitrines japonaises de la cabine:
Fuji san! Fuji san! Téléphones portables et appareils photo entrent immédiatement en action. Notez qu'en japonais, on dit Fuji san, "san" étant la lecture chinoise du caractère qui désigne la montagne, qui se dit "yama" en japonais...il n'y a que les Occidentaux qui disent Fuji yama, vous comprendrez combien ce genre de méprise est courante maintenant que les différentes lectures des kanji n'ont plus de secret pour vous.
Donc, d'un côté de la télécabine, c'est le Fuji:
Et de l'autre côté, c'est ça:
Fumerolles, grondements, bouillonnements et odeurs de soufre, bienvenue dans la "vallée de l'enfer" (c'est la signification de son nom japonais). Un enfer assez domestiqué, tout de même. Le parcours est balisé, les sentiers protégés par des barrières, les risques de mettre le pied dans une flaque brûlante sont inexistants. Des panneaux vous mettent en garde, en japonais, en anglais et en coréen, contre les émanations de gaz soufrés. En gros, il faut respirer le moins possible, et ne se lancer dans l'ascension que si l'on n'est ni asthmatique, ni bronchitique, ni enceinte, ni, d'une manière générale, de constitution faible. En fait, petits et grands, jeunes et vieux, montent (ça prend cinq minutes), par le sentier balisé, jusqu'à un plateau, au coeur de l'activité volcanique, pour regarder bouillonner l'eau, et surtout, surtout, manger des oeufs durs cuits dans cette eau bouillante naturelle!
Toute la journée, un employé place des oeufs dans des boîtes métalliques qui sont descendues dans l'eau bouillante de cette petite mare. Lorsqu'ils en ressortent, cuits, leur coquille est noire et ils sont prêts à être vendus dans la cabane que l'on voit à l'arrière.
Attention, ce ne sont pas "que" des oeufs durs. Un oeuf dur d'Owakudani vous procure 7 ans d'espérance de vie supplémentaire. Ah, ah! A 500 yens (3,25 euros) le paquet de 6, ce n'est pas cher payé. Oui, mais il paraît qu'au dessus de deux oeufs, ça ne marche plus. Enfin, c'est toujours 14 ans de gagné...
D'ailleurs, les amateurs sont nombreux:
Mais que faire si, par malchance, vous faites partie de ces asthmatiques, bronchitiques et autres personnes de constitution faible à qui l'ascension a été si vivement déconseillée? Rien n'est perdu, heureusement, souvenez-vous que vous êtes au Japon et que tout est prévu. Et toute la journée, par ce petit téléphérique rudimentaire que l'on voit ici passer devant le Fuji, les oeufs montent crus...
et redescendent après avoir été cuits, pour être vendus, dans une autre cabane située sur le parking, à la sortie de la télécabine, à tous ceux qui n'ont pas pu entreprendre la montée pour des raisons de santé. Ainsi, leurs bienfaits ne seront pas perdus!