Kurimu rolu et shoko pan
D'abord, merci pour vos petits mots à propos des deux précédents articles, je suis soulagée de voir que finalement, ce n'était pas trop rébarbatif. Après avoir ingurgité deux messages passablement indigestes, vous avez donc bien gagné le droit de vous repaître de quelques nourritures terrestres, et vous allez voir que les efforts que vous avez fournis vont être récompensés...
Le message d'aujourd'hui est dédié à Vérosan et s'inscrit dans la lignée de l'article Courses . Véronique voulait en savoir plus sur notre vie quotidienne, le supermarché, la boulangerie, etc. Après le supermarché, voici donc la boulangerie.
Aussi étrange que cela puisse paraître dans un pays aussi éloigné du berceau de la baguette et du croissant (encore que, pour le croissant, on pourrait discuter...), les boulangeries pullulent dans ce pays qui est pourtant une terre à riz et non une terre à blé. En effet, le pain est connu au Japon depuis la fin du XIXe siècle. La première boulangerie japonaise a ouvert vers 1870 à Tokyo; son propriétaire, M. Kimura, a inventé une sorte de pain dans lequel la levure est remplacée par le ferment à base de riz qu'on utilise dans la fabrication du sake. Une fois que M. Kimura a eu mis sa pâte au point (ça lui a pris quelques années), il a imaginé, pour la rendre plus délectable aux palais nippons, de la fourrer avec de la pâte de haricots rouges. C'est le père du célèbre "Anpan" (An, c'est la fameuse pâte de haricots, et "pan", le pain..). Dans les années 70, on a même créé un personnage de dessin animé qui s'appelle Anpanman. C'est un super-héros en forme de pain aux haricots, et il est toujours très populaire de nos jours auprès des petits Japonais. Si vous ne me croyez pas, allez le voir ici.
Ironiquement, c'est l'armée qui a contribué au succès du pain au Japon car elle a testé et reconnu ses qualités nutritives durant la guerre contre la Chine en 1894 et contre la Russie en 1905. On a ensuite encouragé la population à consommer davantage de pain. Après la guerre, on trouvait déjà beaucoup de pain dit "igirisu pan", ce qui signifie pain anglais, et qui ressemble effectivement à s'y méprendre au pain de mie pâteux que l'on trouve encore outre-Manche, même si la situation a beaucoup évolué là-bas aussi. On l'achète en général en sachets plastique dans les supermarchés. Il est pré-tranché et les tranches sont disponibles en plusieurs épaisseurs, jusqu'à 4 cm au moins!
Dans les années 80, quelques boulangers français à l'âme de pionnier sont venus s'installer au Japon, et y ont remporté un succès qui ne s'est pas démenti depuis, moyennant quelques adaptations aux goûts locaux, bien entendu.
On trouve assez peu de boulangeries-pâtisseries au Japon. Les magasins sont soit spécialisés dans le pain, les viennoiseries et les "en-cas salés", soit dans la pâtisserie tout court (gâteaux, mousses, entremets, etc.). On trouve aussi bien des petites boulangeries de quartier que des succursales de chaînes, qui se donnent souvent des noms français mais dont l'origine hexagonale n'est peut-être pas si certaine... Il y a aussi de vraies marques françaises comme "Paul". En tout cas, on trouve assez facilement du bon pain si on se rend dans une boulangerie digne de ce nom, même si elle appartient à une chaîne. Il est tout de même préférable d'éviter les baguettes sous plastique vendues dans les supermarchés, caoutchouteuses et molles au possible.
Voici à quoi ressemble l'intérieur d'une boulangerie de la chaîne Johan:
On trouve énormément de choses chez Johan, et leurs baguettes n'ont rien à envier à celle d'une boulangerie française moyenne (elles auraient même tendance à être légèrement meilleures).
Toutes ces boulangeries ont une caractéristique commune : la présentation, la propreté et l'hygiène y sont irréprochables. Les pains et viennoiseries sont faits sur place et on peut voir les ouvriers au travail derrière de grandes baies vitrées qui donnent sur le laboratoire. Toutes les boulangeries fonctionnent sur le principe du libre service, mais on prend à l'entrée un plateau et une pince et on pioche ensuite dans les plateaux avec sa pince. A la caisse, l'employée met vos achats dans (beaucoup trop de) différents sachets à l'aide de la pince, et bien souvent, elle porte des gants en plus! Certains magasins sont équipés, à la caisse, d'une soufflerie qui ouvre le sachet plastique pour que l'employée n'ait pas à mettre le doigt à l'intérieur....
Certes, le choix est difficile car étendu. Ce qui complique un peu les choses, c'est que les Japonais aiment bien adopter des modèles et ensuite les adapter un peu... Dans le domaine des viennoiseries par exemple, ils ont adopté les croissants, pains au chocolat et autres brioches qu'ils confectionnent très bien (chez Johan, ils font même des cannelés, et dans une autre chaîne, des kouign aman!). Seulement, par ailleurs, en dignes héritiers de M. Kimura, ils ont aussi imaginé de fourrer des pains ou des brioches avec des ingrédients typiquement japonais tels que la pâte de haricots rouges (toujours le anpan) ou de pois verts... Ils aiment bien aussi inventer de nouveaux en-cas salés qu'il est parfois difficile d'identifier. Ils sont parfois même un peu trop créatifs et n'hésitent pas à faire des mélanges qui me semblent personnellement bien peu appétissants, en forçant sur le ketchup et la mayonnaise.
Il n'est pas toujours évident de savoir si on a affaire à une brioche française traditionnelle ou si elle a été un peu japonisée. Parfois même, il est déjà difficile de savoir si un produit est salé ou sucré. On peut tenter de lire les étiquettes, mais si elles ne sont pas entièrement en katakana, on ne sait pas vraiment à quoi s'attendre.
Ci-dessus, la frontière entre salé et sucré est vraiment floue, des parts de quiche voisinent avec des viennoiseries recouvertes de chocolat.
Avec le temps, et après maintes déconvenues, j'ai pu faire diverses constatations qui m'ont amenée à me fixer une ligne de conduite. D'abord, il ne faut jamais se fier aux apparences. Ainsi, si on se trouve confronté à l'étalage ci-dessus, il conviendra de faire preuve de la plus grande circonspection à l'égard des pains ronds de gauche, qui sont sans doute aux pois verts. Dans ce cas, c'est assez évident, mais beaucoup de produits sont trompeurs! Ce que vous prenez pour des raisins affleurant à la surface de cette sympathique brioche ronde risque fort d'être plutôt des haricots rouges ou des fèves de soja. L'examen attentif de la surface se révélant insuffisant, en l'absence de méthodes d'analyse inapplicables in situ (toucher du doigt ou sentir), mieux vaut s'abstenir.
Ensuite, se méfier comme de la peste de ceux qui semblent les plus anodins, car ce sont les plus traîtres. Ce petit pain brioché rebondi et doré au jaune d'oeuf acheté pour le goûter de la petite dernière se révèle être fourré ... au curry, ou à la pâte de haricots. Bon, je n'ai rien contre la pâte de haricots quand elle est utilisée dans la pâtisserie japonaise traditionnelle, mais un mariage avec de la brioche n'est ni plus ni moins qu'une mésalliance.
J'applique désormais une tactique qui s'est jusqu'ici révélée infaillible: je n'achète que les produits dont le nom est écrit ENTIÈREMENT en katakana. Attention, il faut être très rigoureux, il suffit d'un seul kanji au milieu des katakana et vous pouvez être sûr qu'il y aura de la pâte de fèves de soja au milieu de la brioche. Tandis qu'en s'en tenant strictement aux katakana, les risques sont nuls. Comme vous le savez si vous avez lu les deux précédents messages, les katakana ne sont utilisés que pour les mots étrangers: shokoreto, kurimu, regines... je sous-titre: chocolate, cream, raisins. Un kurimu rolu, c'est un pain brioché fourré à la crème (cream roll), un shoko pan, c'est un pain au chocolat. Un korowasan, en général, ça se voit, et je n'en ai jamais rencontré qu'ils aient essayé de fourrer avec une pâte quelconque... Pour les ingrédients typiquement japonais comme les haricots et les fèves de soja, il existe évidemment un mot japonais, donc ils seront écrits en kanji ou en hiragana et il est dès lors possible de les éviter. Et il n'est même pas nécessaire d'apprendre les katakana, il suffit de les reconnaître!
Inversement, si on est amateur d'exotisme en matière de viennoiseries, on choisira de préférence les produits dont le nom est en kanji ou en hiragana...dépaysement gustatif garanti!